BERNARD ARMAND-ANTHONY PRIMÉ À ANGOULÊME
Dans un article de La Lettre de Genespoir du mois d'octobre dernier intitulé "à vos crayons …", nous vous annoncions le lancement, en marge du Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême (FIBD), du concours annuel de bande dessinée pour jeunes et adultes handicapés organisé par l'association L'hippocampe. Pour la 15ème édition de ce concours dont le thème était "voyage dans le temps", l'association a reçu 930 inscriptions, ce qui représente environ 1 500 planches de bandes dessinées !
C'est le 8 janvier dernier que le jury du concours s'est réuni sous la présidence du dessinateur Franck Margerin, le célèbre "papa" de Lucien le rocker, pour désigner les différents lauréats du concours et c'est avec un grand plaisir et une belle fierté que nous avons appris l'attribution d'un prix "Hippocampe individuel" à Bernard Armand-Anthony, membre de Genespoir.
"Mais c'est qui ce Bernard Armand-Anthony …?" vous exclamerez-vous en me jetant des regards suspicieux et en me gratifiant d'une moue dédaigneuse …
Non non …! Attendez avant de passer à l'article suivant, je sais que mon sujet va vous intéresser et que vous ne regretterez pas de pousser un peu plus avant la lecture de mon propos.
Bon, poussez-pas trop non-plus quand même !
Sans-doute n'avez-vous jamais entendu parler de ce dessinateur-musicien (à moins qu'il ne soit musicien-dessinateur ?) mais ça ne saurait tarder car ses multiples talents sont indéniables. Ne pouvant nous rencontrer facilement, lui habitant à Pau et moi à Saint-Malo, je lui ai envoyé un questionnaire, sorte d'inventaire à la Prévert, en lui demandant d'y répondre le plus librement possible.
Il s'est prêté à l'exercice avec beaucoup de sincérité et m'a même confié qu'il s'y était dévoilé plus qu'il ne le fait de coutume. "Je dois t'avouer qu'il n'est pas facile de parler de soi" m'a-t-il soufflé pudiquement au téléphone. "Né de parents haïtiens qui m'ont abandonné à la naissance, j'ai été élevé par une assistante maternelle pieds-noirs d'origine italienne qui est devenue ma mère. Armand-Anthony est le nom officiel de ma mère biologique. Comme quoi, les voyages forment la jeunesse !" m'écrit-il en préambule. Toute sa scolarité s'est faite en milieu scolaire normal. Il a passé le BEPC et a obtenu un CAP-BEP de dessinateur d’exécution en publicité dans un lycée professionnel de Bordeaux. Ce n'était là que la formalisation de sa passion picturale car ses premiers souvenirs de dessins remontent à l'enfance "à l'âge de trois ou quatre ans, je dessinais déjà sur les carreaux embués de la cuisine" raconte t'il, "depuis je n'ai plus jamais arrêté" et c'est surtout en autodidacte qu'il forgera sa personnalité artistique. "Après avoir fait le tour de pas mal de contrats emploi solidarité" il finit par se consacrer complètement à ses deux passions : "musique et dessin ou dessin et musique, c’est au choix !". C'est au choix en effet car si notre homme pratique le dessin, le pastel, l'huile la gouache ou l'aquarelle, il sévit aussi dans le domaine musical : chant, piano, guitare, saxophone, … avec une prédilection pour la sonorité des musiques latines. Et puis "pour les besoins d’une BD ou d’une illustration, j’écris un peu. J’aide de temps en temps un de mes meilleurs amis à peaufiner ses poèmes" ajoute t-il.
Mais le thème principal de notre rencontre électro-épistolaire étant ses talents de dessinateur de BD, j'orientais mes questions sur ses inspirations et sur sa façon de travailler. "En matière de BD, je me définirais plus comme un illustrateur qu’un dessinateur. J’aime quand les personnages ont du champ libre. J’imagine les scènes dans mon esprit que je mets en action suivant la situation donnée". Quant à sa façon de travailler : "pour l’heure ça reste assez traditionnel, suivant le cas je dessine au crayon, à l'encre à la plume ou au stylo à encre de chine. Je laisse le tout en noir et blanc parce que le rêve absolu serait de travailler le dessin avec des techniques de scannage et de colorisation à l’aide d’une tablette graphique par exemple. Mais ce n’est financièrement pas à l’ordre du jour dans mes projets d'achats". Quand il commence une planche, il débute toujours par le texte qui pour lui "est la pièce maîtresse de l’architecture graphique. Tant que l’écriture rythmique n’est pas en place, je change un mot, une tournure de phrase, jusqu’à ce que je trouve le ton juste".
Des projets ? "Je n’ai pas de plan de carrière. Mon seul objectif est de dessiner ou peindre sérieusement sans me prendre au sérieux et c'est la même chose pour la musique. Ce qui compte pour moi c’est de valoriser la pensée d’autrui par le goût de l’effort. Au mieux, je pratique l’autotélisme" (qui est sa propre finalité), référence au psychologue Mihály Csíkszentmihályi.
Si il se définit lui-même comme un "nonchalant-rêveur-cool", il admet néanmoins reposer rapidement les pieds sur terre pour s’investir pleinement dans la tâche à accomplir : "je suis un passionné, exigeant avec moi-même. Je ne sais pas si la sensibilité peut être définie comme une qualité ou un défaut mais je revendique ma sensibilité" confie-t-il !
A la question : " aujourd'hui tu as 44 ans, te sens-tu différents des autres ?". Sans hésitation il répond : "ni plus, ni moins, j’ai des compétences que d’autres n’ont pas et vice-versa". D'ailleurs, même pendant son enfance, il se souvient qu'il n’apparaissait pas comme quelqu’un de différent. "Ma mère adoptive ne mesurait pas mon statut d’albinos comme un handicap. Certes, on me traitait de blanc-bec, Blanche-Neige, Galak et autres quolibets, mais le fait d’être replié sur soi, me donnait un certain avantage sur la vindicte scolaire. Et puis il leur suffisait de me voir dessiner pour que leur regard change". Finalement, il considère que sa condition d'albinos n'est pas un frein à son épanouissement parce qu'il a la chance de faire ce qui lui plait le plus dans la vie.
Toi qui déclare que par procrastination et par manque de courage, tu es passé bien des fois (hasard ?) devant une figure paternelle avec qui tu aurais sans doute passé de bons moments, que pourrais-tu dire à des parents qui s'inquiètent à l'idée que leur enfant est différent ? "S'ils le peuvent …, qu'ils gardent à l’esprit qu’il faut rester soi-même. Certes, les études importent beaucoup, mais l’essentiel, dans la mesure du possible, c’est de faire émerger ce qui donne pleinement un sens à la vie de leur enfant. Par exemple, si celui-ci à des prédispositions pour la cuisine, ouvrez lui cette porte ! Ça ne sera peut-être pas un futur Robuchon ou Troisgros, mais tout réside dans le plaisir de faire !".
Ça fait maintenant trois ans que Bernard est membre de notre association et, bien qu’ayant beaucoup d’amis, il confesse : "Genespoir me conforte dans l’idée que je ne suis pas seul et qu’on représente une force pour avancer tous ensemble. Ça met aussi l’accent sur le fait que différent est celui qui se voit ainsi. Merci donc à l’équipe de Genespoir de braquer un coup de projecteur sur nos vies ; mieux encore, merci de nous faire exister par vos actions !". Et en guise de conclusion, il déclare : "Mis à part le dessin et la musique, j’aime la vie. Quand j’y réfléchis aujourd’hui, j’aurais aimé suivre des cours de psychologie pour comprendre les profondeurs de l’âme humaine".
Paroles : Bernard Armand-Anthony - Musique : René-Pierre Lotton - mai 2014