Albinisme : quel traitement pour le nystagmus ?
Conférence du Docteur Alain SPIELMANN lors de la rencontre annuelle 2014 de Genespoir.
Le Docteur Spielmann est un ophtalmologiste spécialisé dans la chirurgie du strabisme, du nystagmus et des paralysies oculomotrices. Regarder, c’est pouvoir diriger son regard, le stabiliser et fixer les axes visuels des yeux vers les zones vers lesquelles notre attention est dirigée. Pour comprendre les mécanismes du nystagmus, il faut tout d’abord comprendre les mécanismes de la vision normale. (Voir l'anatomie de l'œil et l'extraordinaire phénomène de vision sur le site www.guide-vue.fr).
La fonction visuelle commence au niveau de la rétine, sur laquelle se forme l’image. La rétine est composée de plusieurs couches : la couche des fibres nerveuses ; la couche des fibres rétiniennes, qui est transparente ; la couche des photorécepteurs, qui reçoivent la lumière ; la couche de l’épithélium pigmentaire rétinien, dans lequel on trouve la mélanine ; la choroïde, qui est vascularisée ; la sclère, qui est l’enveloppe blanche de l’œil. Toutes les informations visuelles que la rétine reçoit sont transmises par le nerf optique vers les aires visuelles du cerveau. La macula est une zone située à la partie postérieure de la rétine, au fond de l'œil. La macula contient en son centre la fovéa. Cette zone un peu creusée fait 2 mm sur 2 mm. La densité des cellules réceptrices de la lumière y est maximale. C’est uniquement dans cette zone qu’on obtient la meilleure précision visuelle (10/10e). La macula a une importance prépondérante par rapport au reste de la rétine. La rétine périphérique ne permet pas de bien voir les détails, son acuité est beaucoup plus faible, elle est utile dans la perception de l’espace visuel et du mouvement. Quand on photographie le fond de l’œil, on voit une tache claire, la papille, qui est l’origine du nerf optique, ainsi qu’une zone sombre, la macula. L’OCT (tomographie de cohérence optique) permet d’obtenir des images en coupe de la rétine et d’observer la zone de la macula. Une macula normale présente un creux en son centre, la fovéa. Ce creux n’existe pas chez les personnes albinos. L’image formée sur la rétine est transmise à l’arrière du cerveau au niveau du cortex occipital avec un cheminement un peu particulier. L’information de chaque œil est transmise vers l’arrière pour moitié vers le cerveau gauche et pour moitié vers le cerveau droit, les deux nerfs optiques se croisant au niveau du chiasma. Les informations qui arrivent au niveau du cortex sont une synthèse des informations qui arrivent de l’œil gauche et de l’œil droit. Quand les deux yeux regardent ensembles dans la même direction, cela crée une sensation de relief synthétisée au niveau des aires occipitales. La vision est un phénomène cérébral, cognitif. L’œil albinos a un iris plus ou moins transparent, la rétine est plus pâle, un peu jaune, le nerf optique est plus pâle, la fovéa, creux au centre de la macula est absente, l’image transmise et analysée donne des informations visuelles moins riches, le nerf optique a probablement une fonction moins bonne. A ces défauts s’ajoutent souvent d’importants défauts optiques : fortes hypermétropie ou forte myopie et fort astigmatisme, le plus souvent liés à des anomalies de la cornée. Le croisement des nerfs optiques au niveau du chiasma ne se fait pas de manière normale. Tout cela explique pourquoi l’acuité visuelle des personnes albinos est plus basse, indépendamment de tout nystagmus. Pour utiliser la vision, il faut commander les muscles des yeux. Des connexions complexes vont de différentes parties du cerveau vers le tronc cérébral. De là des nerfs se dirigent vers les muscles oculomoteurs fixés sur les globes oculaires situés dans les orbites. Chaque œil est dirigé par six muscles, les muscles des deux yeux travaillent en synergie pour diriger le regard. Le mécanisme de la vision fonctionne comme une boucle : une image visuelle de bonne qualité donnera une information corticale de bonne qualité, le cortex enverra des informations vers le tronc cérébral qui dirigera le regard et assurera sa stabilité, les yeux seront stables ce qui renforcera la qualité de l’image, si les deux yeux regardent ensemble dans la même direction, cela renforcera encore la qualité de l’image.
Cette boucle se met en place dès les premières semaines de la vie. Une image de bonne qualité, une information corticale de bonne qualité, une fonction de commande du regard qui est bonne, permettront une bonne maturation de l’acuité visuelle monoculaire et de la fonction visuelle binoculaire qui permettra le développement de la vision du relief. Les anomalies de l’œil et du nerf optique présentes chez les personnes albinos entraînent un dysfonctionnement de la boucle : une image visuelle de mauvaise qualité donnera une mauvaise information corticale, le regard ne sera pas stable. La maturation de la fonction visuelle ne pourra pas se faire correctement d’où un risque de strabisme et de nystagmus. Le strabisme empêchera la vision en trois dimensions. Quant au nystagmus, il n’empêchera pas la vision du relief à condition qu’il n’y ait pas de strabisme. C’est dans les premiers mois de la vie, quand se développe le réflexe de fixation, qu’apparaît le nystagmus congénital. Une fois constatée l’existence d’un nystagmus, on cherche à en déterminer l’origine par l’examen ophtalmologique. Dans certains cas, cette origine n’est pas évidente et nécessite des examens plus poussés. Différents examens sont alors possibles : ERG, PEV, enregistrement du nystagmus, IRM, examens sous anesthésie générale… Si l’albinisme est évident à la naissance, ces examens ne sont pas nécessaires. Certains albinismes ne sont cependant pas faciles à diagnostiquer et le diagnostic n’est effectué que tardivement, vers six, sept ans, voire plus tard. Avec un nystagmus, les yeux ne peuvent se fixer, les yeux ont un mouvement de va-et-vient rythmique et incessant. Le nystagmus disparaît souvent en l’absence de fixation et totalement pendant le sommeil. Le nystagmus augmente avec l’effort de fixation. Pourtant la personne ne voit pas le monde bouger. Pendant son développement, le système visuel du jeune enfant apprend à neutraliser l’impression de mouvement due au nystagmus. Le fait d’avoir un nystagmus congénital est juste gênant pour l’acuité visuelle. On observe très souvent le développement de zones du regard dans lesquelles les yeux battent moins, ces zones sont dites zones de blocage. Exemple : tête droite, un enfant a un nystagmus important, il a une acuité de 1/10e ; s’il tourne la tête à droite, le nystagmus diminue, il a une acuité de 4/10e et si de plus, il penche la tête sur l’épaule gauche, le nystagmus se bloque complètement et il a une acuité de 5/10e . L’existence de zones de blocage est la base de la chirurgie du nystagmus.
Pourquoi opérer et à quel âge ? Au-delà des problèmes visuels qu’il entraîne, un nystagmus est gênant d’un point de vue esthétique et relationnel. Le nystagmus a des répercussions dans le rapport avec autrui, vos interlocuteurs seront mal à l’aise, auront du mal à vous regarder dans les yeux et à avoir des rapports faisant abstraction du nystagmus. D’autre part la personne avec nystagmus sait que les personnes en face d’elles sont gênées. Le nystagmus fait baisser l’acuité visuelle et rend la vision peu confortable. Il faut trouver une position de la tête pour mieux voir et c’est souvent inconfortable. Plus on opère tôt plus on peut espérer une réduction de l’amblyopie à l’âge adulte mais on ne peut pas prévoir le gain d’acuité visuelle après l’opération. Une opération est envisageable dès l’âge de deux, trois ans. On peut aussi attendre que l’enfant grandisse, il n’y a pas de règle absolue, chaque cas est particulier. Il existe plusieurs techniques chirurgicales :
- en cas d’existence d’une zone de blocage, on modifie la tension des muscles oculomoteurs. Pour cela on peut reculer le point de fixation du muscle sur l’œil pour détendre ou raccourcir le muscle pour le retendre. On déplace les insertions des muscles de quelques millimètres au niveau de leur ancrage dans la sclère ;
- une technique chirurgicale complémentaire est celle dite de la chirurgie réglable : elle consiste à fixer le muscle sur une anse coulissante, ce qui permet de faire un réglage en tirant sur le fil ce qui retend le muscle. On fait ce réglage le lendemain de l’opération, quand la personne est réveillée, ce qui permet d’ajuste le parallélisme de yeux, ce n’est absolument pas douloureux. Si les yeux sont droits on peut alors couper le fil, cela demande au total moins d’une minute. Ce type de technique donne en général un excellent résultat. Dans cette technique d’opération on agit au plus sur deux muscles de chaque œil ;
- une autre technique d’opération est possible dans le cas d’un nystagmus qui se bloque en convergence : l’opération consiste alors à créer une légère divergence qui obligera le système visuel à compenser en convergence ce qui bloquera le nystagmus. Les résultats sont également excellents dans ce cas.
La chirurgie des yeux provoque très peu de saignements. Après l’opération, en cas d’albinisme, la photophobie est majorée pendant quelques jours ou quelques semaines. Il faut bien réfléchir avant de se faire opérer et prendre plusieurs avis. Il faut aussi savoir qu’une seconde opération pourra être nécessaire quelques années après.
Questions de la salle : Béatrice Jouanne : combien de personnes dans la salle se sont fait opérer du nystagmus ? Qui veut en parler ? Marie Gliksohn : J’ai été opérée à l’âge de 12 ans d'un nystagmus et strabisme. C'est un vrai gain social. Je ne sais pas au niveau de l'acuité visuelle, je n’ai pas de souvenir de ma vision avant l’opération. Les suites opératoires étaient très désagréables. Je ne tolérais aucune lumière et j'avais une énorme fatigue des paupières. Aujourd'hui, je ne regrette pas. A propos du permis, il faut retenir qu'au delà de l'acuité, il y a la photophobie qui gène la vision. ► Dr Spielmann : Je ne suis pas en mesure de déterminer l'aptitude à la conduite. Je fais un constat clinique. Ce sont les experts de la préfecture qui décident. Dans le cas d’un nystagmus, on opère quatre muscles. Dans le cas d’un strabisme, c'est deux. Donc les suites opératoires sont forcément plus lourdes pour le nystagmus. Madame Dumont : Mon fils Quentin a été opéré il y a sept ans et il y a des soucis. Comment vieillissent les muscles d'un œil opéré ? ► Dr Spielmann : Les muscles se rétrécissent et se distendent. Ce sont des remodelages anatomiques qui se font tout au long de la vie. Ces remodelages n’ont pas d’incidence sur la possibilité d’opérer plusieurs fois un même muscle. Malgré toutes les précautions d’usage, chaque opération va toutefois nécessairement provoquer des inflammations cellulaires au niveau des tissus, créant ainsi des adhérences au niveau des muscles et tissus périmusculaires (conjonctive, sclère, etc.). Intervenir plusieurs fois sur un même muscle tend à rendre les résultats moins prévisibles. La moitié de mes patients ont déjà été opéré et ces nouvelles interventions ne présentent pas de difficultés particulières pour un spécialiste. Parfois on a des surprises sur l'opération initiale mais un spécialiste sait gérer cela. Souvent, quand on opère le nystagmus sur des yeux qui n'ont pas une bonne acuité, la communication entre eux se fait mal, d'où des risques de divergences après l’opération. Madame Bouafad (mère de Hind) : Ma fille a été opérée de deux muscles pour un torticolis vertical à l’âge de quatre ans et demi. Elle a maintenant huit ans et demi et a développé une nouvelle position de torticolis, cette fois-ci horizontal. Elle va être opérée de nouveau, cette foisci au niveau des quatre muscles. ► Dr Spielmann : Votre fille a été opérée jeune. On a fait ce choix pour ne pas griller toutes les cartes. La première opération a permis de réduire le torticolis et d’améliorer son acuité. Mais un nouveau torticolis est apparu. Je suis content de ne pas avoir tout opéré la première fois, cela augmente aujourd'hui ma marge de manœuvre. Fabienne Kauffmann : Notre fille a été opérée à cinq ans, il y a vingt-trois ans par votre mère. On en est très content. Aujourd'hui, elle a un petit nystagmus. Est-ce que vous avez gardé les dossiers de votre mère ? Opérez-vous de la même manière ? ► Dr Spielmann : Ma mère était spécialisée dans les troubles oculomoteurs et j’ai repris sa spécialité. Cette filiation me donne du recul et des informations précieuses. Je revois des gens opérés il y a vingt ou trente ans dont l'acuité s'est améliorée au fil du temps. Est-ce l'opération qui l'a permis ? Je ne sais pas. Mon intuition est que l'opération a aidé. D’après les études d’Hubel et Wiesel (prix Nobel de médecine 1981) après six ou sept ans, l'acuité visuelle est fixée. Mais on sait avec l’expérience qu'elle peut continuer à s'améliorer au-delà. Une opération du nystagmus améliore la qualité visuelle, et influe donc indirectement sur la maturation de la vision. Christiane Michon : J'ai un strabisme et un nystagmus. J'ai été opérée à 37 ans du strabisme. Pour le nystagmus, j'ai une oscillopsie et plusieurs torticolis. ► Dr Spielmann : En général le cerveau supprime l’impression de mouvement dû au nystagmus (oscilloscopie), mais il y a des exceptions.
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